Histoire du département de la Haute-Savoie (Région Rhône
Alpes) Le département
de la Haute-Savoie se composant presque en entier des trois anciennes petites
provinces du Faucigny, du Chablais et du Genevois, notre notice devrait être un
abrégé de l'histoire de ces trois provinces ; mais, comme elles ont eu
dans les premiers temps une existence commune avec le reste de la Savoie,
comme, plus tard, elles ont été absorbées dans cet envahissant petit État, pour
éviter de fastidieuses répétitions, nous nous occuperons principalement ici de
l'époque où ces contrées ont vécu de leur vie propre et où elles ont eu une
place à elles dans le morcellement de l'Europe féodale. Pour les faits qui ont
précédé et suivi cette période, nous renvoyons nos lecteurs à la partie de
notre travail consacrée au département de la Savoie FAUCIGNY On prétend que
la province prit son nom d'une ville de Faucigny, disparue depuis bien des
siècles, et sur les ruines de laquelle aurait été bâtie une autre petite ville
du nom d'Anse. Aujourd'hui, le nom ne peut s'appliquer qu'aux débris de
l'ancien château de Faucigny, habité jadis par les seigneurs de la province et
situé sur le sommet d'un rocher abrupt, à une hauteur de 661 mètres, près
du hameau de Perrine, à quelques kilomètres du bourg de Contamine. P endant
l'occupation romaine et la période bourguignonne, le Faucigny partagea le sort
des contrées voisines. C'est au XIe siècle, alors que les empereurs allemands
descendants de Conrad le Salique laissent échapper une à une leurs possessions
de Bourgogne et d'Arles, qu'apparaissent les premiers seigneurs de Faucigny.
Nous retrouvons dans un vieil historien la généalogie de cette puissante
maison. C'est un document d'un grand intérêt ; il donne, mieux que de
longs récits, la mesure de l'influence qu'exerça cette famille pendant plus de
trois siècles. Émerard est le
premier seigneur de Faucigny dont l'histoire nous ait laissé le nom ; il
vivait dans le XIe siècle et épousa deux femmes ; de la
première, il eut trois fils, Aimé, Aimon, et Gui, évêque de Genève ; de la
seconde, il eut Guillaume, seigneur de Faucigny, mort vers l'an 1119. Ce dernier eut
quatre fils, Gérard, Amé, évêque de Maurienne, Raymond et Rodolphe, qui lui
succéda. Rodolphe vivait en 1125 ; il eut une lignée plus nombreuse
encore ; outre Humbert, son successeur, il eut Arducius, évêque de Genève,
qui fut créé prince de cette ville par l'empereur Barbe-rousse, en 1157, et qui
gouverna son Église pendant cinquante ans ; Ponce, abbé de Sixt ;
Amnon, fondateur de la Chartreuse du Reposoir ; Rodolphe, dit Alemand,
tige des Alemands, seigneurs de Valbonnais et d'Aubonne ; enfin Raymond,
seigneur de Thoire et de Boussi-en-Genevois. Humbert vécut jusqu'en 1170 ;
il laissa deux fils, Aimon, qui lui succéda, et Guillaume de Faucigny, qui
vivait encore en 1202. C e dernier fut
père d'une fille unique, Agnès, mariée, selon Guichenon, à Thomas Ier comte de
Savoie. Aimon eut trois filles ; l'aînée, l'héritière de la seigneurie,
s'appelait Agnès, comme sa cousine, et, comme elle, épousa un prince de Savoie,
le comte pierre. Ce mariage fut conclu en 1233. Des deux sœurs d'Agnès, l'une,
Béatrix, devint la femme d'Étienne, sire de Thoire et de Vitgneurs ;
l'autre, Léonor, épousa Simon de Joinville, seigneur de Gex. Agnès n'eut qu'une
fille, Béatrix de Savoie, dame de Faucigny, mariée en 1241 à Guignes XII,
dauphin du Viennois. De ce mariage
naquirent deux fils, Jean et André, qui moururent sans postérité, et une fille,
Anne, qui apporta en dot le Faucigny et le Dauphiné à son époux Humbert Ier,
sire de La Tour-du-Pin. Cette union fut féconde ; de ces fruits nous ne
citerons que l'héritier, Jean II, et Hugues, mort sans postérité en 1323,
après avoir épousé Marie, fille d'Amé V, comte de Savoie. Jean II eut
deux fils, Guignes XIII, qui n'eut pas d'enfants, et Humbert II. C 'est celui-ci
qui, en 1343 et 1349, fit don de toutes ses terres au roi Philippe de Valois, à
condition que le fils aîné des rois Franceporterait le titre de Dauphin et que
sa baronnie du Faucigny ne pourrait jamais être séparée du Dauphiné. C'est
ainsi que, sous les auspices d'un prince généreux et dévoué à la France, cinq
cents ans avant l'annexion définitive, le Faucigny contractait avec ce pays une
première union. Les comtes de
Genève avaient des droits dont ils firent aussi l'abandon au roi Jean ;
mais ceux de Savoie acceptèrent cette cession avec moins de résignation. Leurs
officiers étaient en perpétuelles discordes avec les gens du dauphin ; les
rixes étaient fréquentes et menaçaient d'entraîner des conflits plus graves.
Pour terminer ces différends, un traité fut conclu en 1355. En vertu de cette
convention, le dauphin abandonnait au comte de Savoie le Faucigny, le pays de
Gex et diverses terres qu'il possédait au delà du Rhône et du Guier. Le comte,
en échange, cédait au dauphin les terres qu'il avait en deçà des deux rivières. L e marché était
inique, car les domaines acquis par la Savoie représentaient un revenu de
25 000 florins au moins, tandis que la part faite au dauphin n'en rendait
pas 1 500. Aussi le comte de Valentinois, Aimar V, gouverneur du
Dauphiné, fut-il accusé de s'être laissé corrompre par les présents
d'Amé VI, comte de Savoie, et le parlement de Paris le condamna pour ce
fait a une amende de 1 000 marcs d'argent. Quoique possesseurs du
Faucigny, les comtes de Savoie étaient tenus à un hommage qu'ils ont rendu deux
fois. Ils en furent relevés en 1445 par le dauphin, qui fut depuis le roi
Louis XI. De la part de ce
prince, une pareille concession a lieu de surprendre, surtout si, comme le
prétend notre vieux et patriotique historien, cette renonciation outrepassait
son pouvoir comme étant contraire aux droits inaliénables et imprescriptibles
que nos rois ont sur la baronnie de Faucigny. Charles VIII eut moins de
susceptibilité : il ratifia le traité à Chinon cette même année ; il
est vrai qu'en réciprocité le duc de Savoie renonçait, au profit du roi et du
dauphin, à tous les droits qu'il prétendait avoir sur le Valentinois. A dater de cette
époque, le Faucigny a fait partie intégrante des domaines de la maison de
Savoie ; il n'en avait été distrait que sous la République française et
pendant le premier Empire. Il faisait alors partie du département du Léman. CHABLAIS Les Romains
trouvèrent cette contrée occupée par les Andates ou Nantuates et Veragriens,
dont parle César dans ses commentaires. Elle parut propice aux vainqueurs pour
l'entretien et la remonte de leur cavalerie ; ils y établirent des haras,
et ce serait là l'origine de son nom latin. Avec le temps et la corruption du
langage, Caballica se serait transformé en Chablais. Nous abandonnons
cette hypothèse à l'appréciation de nos lecteurs, en déclarant toutefois
qu'aucun document ne nous fournit d'étymologie plus acceptable. Sous le
gouvernement sarde, voici les renseignements statistiques qu'a recueillis
Gabriel Mortillet au sujet de la région qui nous occupe : après les deux
provinces de plaine, la Savoie propre et le Genevois, le Chablais est celle où
il y avait le moins d'instruction au XIXe siècle. Sur 100 habitants,
23 seulement savaient lire et écrire ; 28 savaient lire ; le reste,
49 sur 100, bien près de la moitié, comme on voit, ne savait ni lire ni écrire.
Il y avait, ajoute-t-il, dans le Chablais 60 communes qui se composent de
11 572 familles et de 57 562 habitants, répartis sur une superficie
de 928 kilomètres carrés ; c'est 62 personnes par kilomètre. L e Chablais est
donc la province de Savoie la moins étendue, mais la troisième quant au chiffre
proportionnel de la population. Elle comprenait jadis cinq bailliages, ceux de
Thonon, Évian, Aups, Ternier et Gaillard. Les centres de population les plus
importants, les lieux les plus remarquables se trouvent presque tous sur les
bords du Léman. On ne peut citer dans l'intérieur des terres que Douvaine et le
fort des Allinges. Les principales rivières sont la Mourgues, l'Ursine, la
Dranse, la Béveronne. Il y a quelques autres cours d'eau, mais trop peu
considérables pour être cités. N ous avons peu
de chose à dire sur l'histoire particulière du Chablais. Jusqu'au dernier roi,
Rodolphe III, il fit partie du royaume de Bourgogne. Il fut donné, en même
temps que la vallée d'Aoste, par Conrad le Salique à Humbert Ier aux blanches
mains, en récompense des services que ce premier comte de Savoie lui avait
rendus dans sa lutte contre Eudes II de Champagne, qui lui disputait sa
couronne. Il n'y a donc,
comme on le voit, aucune interruption dans la solidarité qui unit les destinées
du Chablais a celles de Savoie, puisque la petite province est déjà en la
possession du premier prince qui a constitué un comté de Savoie. Le Chablais,
cependant, formait un petit État à part ; il donnait un titre spécial aux
comtes de Savoie. Dans les
premiers temps, ils ne portèrent que celui de seigneurs de Chablais ;
mais, au XIVe siècle, l'empereur Henri VII ou VIII, de la
maison de Luxembourg, érigea le Chablais en duché au profit du comte Amédée le
Grand, qu'il créa en outre prince de l'empire. Toutefois, Amédée et ses
successeurs préférèrent leur ancien titre de comtes de Savoie et de Maurienne à
leur nouvelle qualité de ducs du Chablais et de la vallée d'Aoste ; ils ne
s'intitulèrent ducs que quand l'empereur Sigismond eut érigé la Savoie en duché
et en principauté de l'empire. Par le fait
d'alliances, ou comme conséquences passagères de la guerre, le Chablais a
fourni parfois des fiefs à des seigneurs étrangers ; nous voyons en 1313
Guillaume III, comte du Genevois, faire hommage à l'évêque de Genève du
marché de Thonon et des dépendances de Châtillon. Nous voyons à une autre
époque Hermance, qui est sur le lac, et Allinges, dans l'intérieur des terres,
relever de la baronnie de Faucigny. Deux faits d'une
certaine importance constituent à peu près exclusivement l'histoire du
Chablais : les luttes qu'il soutint pour conserver la possession du bas
Valais ; mais les détails nous manquent complètement ; nous ne
pouvons que constater le résultat, la victoire définitive des hauts Valaisans,
et les troubles religieux qui agitèrent le pays au XVIe siècle.
Thonon, capitale du pays et primitivement catholique, avait embrassé le
protestantisme sous la pression des Bernois, qui s'en étaient rendus maîtres. Q uand les
princes de Savoie reprirent la ville, les deux cultes se trouvèrent en
présence. Le Chablais eut le bonheur de voir confier à François de Sales la
mission de convertir les dissidents. La tolérance et la douceur du saint
homme eurent de meilleurs et plus durables résultats que les persécutions et les
dragonnades, auxquelles ont eut recours en trop d'autres endroits. Conquis par
les armées républicaines, le Chablais, sous l'Empire, faisait partie du
département du Léman. GENEVOIS Après l'histoire
de la domination romaine, les plus anciens souvenirs qui se rattachent au
Genevois sont ceux de l'établissement du christianisme. L'Évangile fut, dit-on,
prêché pour la première fois dans cette contrée par saint Nazaire, disciple de
saint Pierre, qui convertit saint Celse vers l'an 75. Ces premiers
missionnaires de la foi eurent pour successeurs immédiats Paracodes, Donnellus,
Hyginus et Fronze, qui était auparavant grand prêtre d'Apollon. Tels sont les
premiers noms inscrits sur la longue et glorieuse liste de prélats qui
occupèrent le siège de Genève. Le dernier, Pierre de Baume, se retira à Annecy
en 1534, lorsque la coalition victorieuse des Bernois et des Fribourgeois eut
l'ait triompher le protestantisme dans sa ville épiscopale. A côté de
l'autorité religieuse, il y avait, pour Genève et pour les Genevois, un pouvoir
civil représenté par des comtes dont l'établissement remontait à une époque
reculée, puisque nous connaissons le nom d'un comte Rutbert qui vivait en 880. Lâ, comme
ailleurs, les mandataires de l'autorité centrale profitèrent de son
affaiblissement pour assurer leur indépendance ; il y eut donc à la fois
comtes et évêques souverains. Nous n'avons pas à relater ici les fréquents
conflits qui en résultèrent ; ils eurent presque toujours Genève pour
théâtre. Voici les seuls éclaircissements que nous fournisse Claude Genoux sur
cette époque un peu confuse ; c'est d'abord la table chronologique des
comtes, que nous transcrivons 1020, Guillaume. - 1030, Gerold.
- 1060, Robert, fils du précédent. - 1080, Gerold II, frère.
- 1120, Aimon, fils. - 1150, Amédée Ier, fils.
- 1175, Guillaume ler, fils. - 1220, Humbert, fils.
- 1250, Guillaume II, frère. - 1270, Rodolphe, fils.
- 1274, Aimon II, fils. - 1290, Amédée II, frère.
- 1308, Guillaume III, fils. - 1320, Amédée III, fils. - 1367,
Amédée IV, fils. - 1368, Pierre, frère. - 1394, Robert,
frère(Clément VII). - 1324, Humbert de Villars, gendre
d'Amédée III. - 1400, Oddo (Eudes) de Villars, oncle. - 1401,
Oddo de Villars cède le comté de Genevois à Amédée VIII, comte de Savoie. C ette liste est
accompagnée des quelques détails qui suivent. Amédée VII entrait dans
l'âge de sa majorité quand la famille des comtes de Genevois s'éteignit dans la
personne du comte Robert, plus connu sous le nom du pape Clément VII. Ce
pape laissa ses États à son neveu Humbert de Villars ; Oddo de Villars en
hérita en 1401 et les vendit a son élève, Amédée VIII, pour la somme de
45 000 francs d'or. Cette vente fut conclue à Paris le 5 août de
cette même année 1401. Les premiers
comtes n'avaient eu que la possession de fait des pays qu'ils
gouvernaient ; ils s'en rendirent ensuite souverains héréditaires. Vers le
XIe et le XIIe siècle, époque où l'empire, affaibli par
sa lutte avec les papes dans la question des investitures, ne permettait pas
aux empereurs de s'occuper de choses secondaires, ceux-ci crurent bien faire en
nommant l'évêque de Genève, dont ils n'avaient pas à se plaindre, dépositaire
de leur pouvoir sur Genève et ses environs. Avec le temps, pourtant ; les
évêques gardèrent le pouvoir pour eux ; ils le gardèrent tant qu'ils
purent, et ne firent pas en cela autrement que n'avaient fait les seigneurs
laïques. L e premier
évêque souverain de Genève fut Ardutius, fils du baron du Faucigny ; il
succéda au comte Humbert en 1135. Ce dernier, forcé de quitter Genève, où
Ardutius commandait, alla résider à Talloires, puis à Annecy, centre de ses
États. Une ordonnance de Frédéric Barberousse, du 14 janvier 1153,
déclarait qu'il mettrait au ban de l'empire et soumettrait à une amende de
10 livres d'or tout prince qui attenterait aux droits de l'Église de
Genève ; cependant Amédée, le successeur de Humbert, ressaisit cette
souveraineté de Genève, mais ne put s'y maintenir, Frédéric Barberousse s'y
opposant formellement. Ce fut donc vers le milieu du XII e siècle que
Guillaume, fils et successeur d'Amédée, fit décidément d'Annecy la capitale de
son comté de Genevois. A près sa réunion
à la Savoie, le Genevois devint l'apanage de Philippe de Savoie, second fils de
Philippe, surnommé Sans Terre, et de sa seconde femme, Claudine de Bretagne. A
côté de cette branche cadette se développa une autre souche, la maison de
Lullin, sortie de Pierre Balard, de Genevois, fils naturel de
Guillaume III et d'Emeraude de La Frasse, dame de Montjoie, sa maîtresse.
Cette famille ne s'éteignit qu'en 1663, après avoir fourni pendant toute son
existence de nombreux dignitaires dans les plus hautes fonctions de la cour et
de l'armée des princes de Savoie. Il ne nous reste
plus qu'à mentionner les troubles religieux qui agitèrent et ensanglantèrent le
pays au XVIe siècle, sa conquête faite par la République, sa réunion
à l'Empire, pendant laquelle il fit partie du département du Léman. L'annexion
à la France donna lieu à quelques réclamations de la Suisse ; la question
était trop simple pour entraîner de graves complications. Les traités de
1815, pour mieux assurer l'inviolabilité du territoire de la Confédération
helvétique, avaient étendu les conditions de neutralisation aux enclaves du
Faucigny et du Genevois, qui faisaient retour au royaume de Sardaigne. Il
s'agissait donc de savoir si le Piémont avait pu céder ces contrées à des
conditions différentes de celles dans lesquelles il les avait reçues ; la
solution affirmative ne fut pas douteuse.
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